mercredi 15 juillet 2009

20 août 2007 - 15 mars 2009 / Siloë et Imgene

16h00.
Je quitte le canapé d'angle marocain du salon pour aller fumer une cigarette sur la grande terrasse de la maison. Le soleil est trop chaud, trop ensoleillé, je rentre. C'est déjà agir que de marcher d'un salon à une terrasse, tirer une chaise pour s'asseoir, allonger ses jambes sur une autre chaise qui aveugle par sa couleur maladroite. Odila a une table de jardin blanche dans un pays frictionné par le soleil...
Il n'est n'est pas 16h00. Mais seulement deux heures après le zénith. Ma montre est restée à l'heure de la France. Je me suis parfaitement habituée à retirer neuf pour avoir l'heure californienne, et y vivre un peu avec lui. J'ai banni le calcul de ma vie réelle et fictive depuis tellement longtemps que je ne sais plus si j'ai jamais eu à le bannir. Le caddie des prédispositions ne se serait jamais arrêté devant ce rayon là pour moi.
Je n'ai aucune envie d'apprendre à retirer sept. Je calcule par neuf... Et je ne brasse que ce passé.
C'est d'un équilibre morbide dont j'ai besoin pour avancer. Je souhaite presque n'avoir aucune nouvelle de lui pendant ces trois heures. Je sens un soulagement parce-qu'il semble revenir vers moi, ou tout du moins m'offrir un contact privilégié qui m'empêche de vivre pour moi. Je recommence à ressasser tout ce que j'aimerais lui écrire, tout ce que je devrais faire de ma vie pour lui plaire, tout ce que je vis pour lui. Je le mets en scène dans ma tête comme un personnage que mon esprit aurait créé...
L'obsession est mon manège masturbatoire. Et les heures passent. Les jours passent. Ma vie n'est que penser à lui. Je lui dresse une jolie et irresistible image vivante de mon existente morte à sa rencontre.
Il a rompu au téléphone.
Nous nous sommes retrouvés en Angleterre, dans sa ville natale qui lui inspire de la colère. Parce-qu'elle continue de vivre même sans lui, lui qui continue de l'aimer à 5000 kilomètres d'elle depuis dix sept ans.
Après un mois et demi passé, chacun sur notre continent et son incompréhensible réticence à nous voir vivre ensemble à San Francisco, nous sommes restés trois semaines là-bas. Semaines difficiles engluées dans l'appréhension de voir venir l'inexorable fin.
La dépression l'avait déjà bien défiguré. Toutes forces arrachées, sauf celles tournant le dos à la vie, intrinsèques à cette maladie : andandonner, se cacher, renoncer.
C'est en montrant à Odila des photos d'Imgene que je m'aperçus de la terrible transformation de son visage. Ses traits effondrés. Des yeux suppliant du secours, peut-être. De la vie, sûrement. De fuir ce fut certain, trois semaines plus tard.
Nous avions vécu nos premiers moments à l'orée de notre alchimie. Nous étions hors osmose ou bien pire, en bordure. De mon côté une angoisse surpuissante qu'il laisse la dépression nous détruire en lui-même me rendait exigeante. Trop 'exacte' m'avait il dit un soir. Je voulais tout expliquer, avoir toutes les explications, sur lui, sur ses gestes. En essayant de l'aider à sortir de ses abîmes quotidiennes, ses frustrations mortifères, je ne faisais que le conforter dans l'idée qu'il n'était capable de rien, ni de faire bien ou de se faire comprendre de personne. Lentement et sûrement, je le ramenais sans y prendre garde vers la certitude dont il avait tant voulu sortir avec moi : l'incapacité de tenir une relation. Mais il me demandait alors d'avoir toujours confiance.
Il passa la nuit de son retour à SF dans un demi-silence. Il m'envoya un message disant que son téléphone ne marchait pas, qu'il était bien arrivé et que comme promis il m'appellerait le lendemain de son bureau pour me donner la date possible de mon séjour chez lui. Ca devait être mon tour de faire le voyage... Voyage il y eut, mais pas celui auquel je pensais.

J'ai beaucoup d'idées. Mais pas toujours la force d'écrire. Pas toujours la force de les regarder en face. En fait, de faire face.
J'étais une enfant en avance. En avance sur la vie et les autres. Aujourd'hui je suis à la traîne de tout, principalement de moi-même. Je ne fais ni du sur-place, ni ne stagne. Il faudrait une situation pour cela. Leur vie n'est pas la mienne même si mon âme se courbe d'angoisse de n'en être que là. Où? Je ne sais pas, mais pas là où les autres voudraient que je sois. J'observe de mon lit le monde de mon esprit et les fantasmes que ma vie passée me laisse sans date de péremption, limite de temps, et sans aucune limite possible. C'est là l'infini.
Je monologue. Dramaturge du plus infime mouvement. Actrice en huis-clos. Biographe d'une grande vie menacée de fuite.
Combien de pages ai-je écrites dans ma tête en attendant le sommeil à toute heure de la journée... Combien de début d'histoires et de vérités ai-je parfaitement pensé dans la minute qui précède l'oubli... Je n'ai jamais eu le courage de me relever et d'aller écrire ces idées aveuglantes de précision. Je les ai toutes laissées s'éteindre dans le sommeil, et ne jamais revenir. A chaque instant où mon corps ne veut plus tenir debout ni assis, que mon courage ne tient plus l'éveil, et que je vais contrainte et complice m'allonger pour me débarrasser d'un peu plus de temps de vie en dormant, les phrases arrivent. Elles réclament ce lâcher-prise. Car à ces moments de suberbe fuite je me moque de réfléchir et de retenir. Foutue règle. Je fuis elles arrivent. Je les cherchent elles s'évadent.
Je ne vis qu'à travers des images et malheureusement il n'y a pas d'images pour décrire ma vie. Je devrai donc la décrire. Et pour cela il me faudra dé-écrire ma vie.
Il faut vivre, dit-on, tant qu'on est vivant. Attendre toujours l'après pour vivre est une erreur de jeunesse bien regrettable, dit-on. Mais moi je n'attends rien d'autre pour vivre. Ma vie c'est d'attendre. Mais ni la vie ni la mort. Non, j'attends dans le rien qui semble être celui des autres. Je rêve à ce qui pourrait être, sans vouloir le réaliser ni y accéder. Il semble que j'ai vécu suffisamment avant pour qu'aujourd'hui je puisse tourner en arrière dans des chimères se nourrissant sans cesse de ce passé. Et chaque jour elles me racontent. J'observe de mon lit le monde de mon esprit et les fantasmes que ma vie passée me laisse sans date de péremption, limite de temps, et sans aucune limite possible. C'est là l'infini.
Je monologue. Dramaturge du plus infime mouvement. Actrice en huis-clos. Biographe d'une grande vie menacée de mort née. Répétition douloureuse et léthale. Chaque jour je dégrade un peu plus ce que j'avais pû être et je me délite en fantasmagorie terrestre.
Depuis qu'Imgene a disparu je ne sais plus comment faire pour rejoindre une vie. Je ne retrouve plus l'envie, et je ne la comprends plus, cette envie. Mon existence manque d'adhérence, vivre est un mur et j'en suis le passe-muraille. Faire me fatigue, avoir m'indiffère et être tue ma dernière capacité de retourner agir. Comment concilier être et vivre...
S'il n'y avait que moi, cette manière me conviendrait aujourd'hui très bien. Ce n'est pas de la résignation c'est de la paralysie athlétique. Je règne, admirée même par certains, sur ces Olympes là. Mais il y a l'autre. Les autres. Siloë et Imgene.

J'ai cessé de vivre le jour où j'ai rencontré Imgene. Je ne devais finalement attendre qu'une seule chose et c'était celle là. Le divin prétexte pour cesser d'exister, et me fondre dans tout extérieur à moi. Ce fut une histoire, un amour suprême. J'ai oeuvré patiemment pendant un an, dans une seule pièce comme décor en écrivant des centaines de lettres et de messages comme unique action. Pour le faire venir à moi, l'approcher et me laisser approcher. Puis nous avons rejoins le réél des corps et des lieux de vie pendant un an. Il m'a demandé de venir à lui, a réclamé ma confiance et chéri ardemment mon amour. Je n'existais que pour penser à lui, lui écrire et le rencontrer en divers endroits. Je ne vivais qu'en pensant à lui. J'imprégnais tout ce que je touchais, respirais, goûtais, de sa présence, de sa pensée. Et tout ce que je faisais n'avait comme mobile et moteur que celui de lui faire récit de ma vie. Mes journées se passaient à réfléchir les lettres, lui inventer une vie inexistante mais vive et enivrante à lire, puis à lui écrire. Des heures à tourner dans mon appartment, autour de ma table, à parler à voix haute, avant de coucher en mots celle que je ne vivais pas.
Je me suis offerte une histoire de deux ans que pourtant je n'aurais su imaginer. Ni le sublime incomparé, ni la douleur anéantissant. Chaque sentiment était inconnu d'avant, chaque geste inédit. L'amour fut incroyablement vrai, ce fut comme comme ça, né dans l'acmée déjà.
L'extérieur fut unique. Ce fut un homme, réceptacle de moi-même enfin trouvé.

J'ai commencé à écrire Siloë, puis ai confondu les identités. Virtualité et réalité baillonnant et me laissant admirer l'histoire, allongée sur ma vie arrêtée...



Je m'appelle Siloë. A ce stade là ce n'ai même plus l'ironie du sort. Absolument dans "l'être", intermittente unijambiste dans le "faire", néant dans "l'avoir".
Je n'ai rien. Je n'aime pas ''l'avoir''. Je n'aime pas la voir non plus...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire